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Contribution de 17 - Pierre BERENGUIER

 L’ AVENTURE « TRANSIT »

 
1 – TRANSIT : pourquoi et quand ?
 
Les progrès des fusées lance-missiles dans les années 50 ont permis le lancement des premiers satellites artificiels dès 1957 (Spoutnik, Pamplemousse). Ce fut le début de l'ère spatiale. L'utilisation de satellites pour les télécommunications et l'observation de la terre a conduit relativement vite aux systèmes d'usage quotidien dont nous ne pourrions plus nous passer (télécoms à grand débit par satellites géostationnaires, satellites météo, etc...
 
L'emploi de satellites pour trouver la position d'un objet sur la surface terrestre (navire, avion…d'où le nom de système de navigation) a été moins rapide et moins spectaculaire : au début, cela ne concernait que les flottes militaires, ensuite marchandes ; M. Tout Le Monde n'en avait pas besoin, les moyens existants (sextant, Loran, etc…) suffisaient en pratique.
La navigation par satellite ne s'est banalisée qu'avec le GPS (Global Positioning System) dont le service civil gratuit date de décembre 1993 et l'extrême miniaturisation des récepteurs de la fin des années 90.
 
Le Système TRANSIT, actif pendant 3 décennies environ, a ouvert la voie au GPS qui, beaucoup puissant et commode, l'a détrôné. Grâce à lui, faire le point à 100 m près devenait possible plusieurs fois par jour, en tout point du globe et indépendamment des conditions météo. Il a fait progresser de façon prodigieuse la géodésie, connaissance précise de la forme de la terre, horrible "patatoïde" dont on ne situait le centre des masses qu'à 100 à 200 m près.
 
Il a fait l'objet, à la SAT, d'études et de réalisations sur des contrats de la DGA (Délégation Générale à l'Armement). Créé à l'initiative de l'US NAVY pour remédier à la dérive des centrales à inertie des sous marins, il pouvait être utilisé par toute flotte. Il fut déclassifié (1966 ?) pour l'usage civil, avec une précision réduite grâce au cryptage de certaines données du message TRANSIT.
 
2 - L'effet Doppler
 
Le système TRANSIT, était basé sur l'effet doppler, du nom du physicien autrichien qui étudia en 1842 "la variation de hauteur du son perçu lorsque la source se déplace par rapport à l'observateur". Il s'applique aux ondes hertziennes et quand un satellite émettant une fréquence fixe FE  se rapproche de l'observateur, en une seconde, de n longueurs d'onde, l'observateur reçoit une fréquence FR égale à FE  + n cycles/seconde. Après le passage au plus près, quand il s'éloigne de nλ en 1 seconde, la fréquence reçue est diminuée de n cycles/ seconde.
Le mouvement relatif source-observateur est dû à la fois au mouvement du satellite sur son orbite, à la rotation terrestre qui emporte l'observateur par rapport au repère galiléen fixe par rapport aux étoiles, et éventuellement au mouvement de l'observateur sur la Terre.
 
C'est vers 1960 que le professeur KERSHMER de la JOHN HOPKINS UNIVERSITY fit remarquer que la courbe Doppler FR (t) obtenue lors d'un passage d'un satellite donné en visibilité de la Terre était unique et caractéristique de ce satellite et de ce point. D'où les applications suivantes:
 
-       Navigation, si on connaît les positions d'un satellite à des instants précis. C'est le cas des satellites TRANSIT qui disent "où ils sont" à tout instant. Les fréquences émises sont modulées en phase par un message numérique à 50 Bits/s environ. Ce message de 156 mots de 39 bits comprend un mot de synchronisation qui sert de repère de temps satellite toutes les deux minutes, et une vingtaine de mots en clair (essentiellement les paramètres classiques de la mécanique céleste : inclinaison du plan orbital, excentricité, demi grand axe, etc…) ; les mots restant, cryptés, permettaient sans doute à la marine US d'atteindre une meilleure précision. A partir des mots clairs, l'observateur calcule les positions du satellite aux instants de ses repères temps.
La variation de la fréquence reçue entre deux repères consécutifs tn, tn+1, exprimée en nombre de cycles, indique la variation ΔDn de la distance satellite-observateur dans l'intervalle tn - tn+1. Les passages les plus zénithaux fournissent jusqu'à 7 mesures ΔDn. On calcule d'autre part les ΔDl correspondant à la position supposée de l'observateur : la position "vraie" est celle qui minimise les écarts ΔDn – ΔDl  au sens des moindres carrés. Tous ces calculs pouvaient d'ailleurs être exécutés sur une calculatrice de bureau de l'époque, capable de traiter une matrice 4x4.
 
-       Orbitographie d'un satellite émetteur d'une fréquence fixe. A partir d'un minimum de 3 stations terrestres fixes, de positions connues par rapport au globe, on effectue les mêmes mesures de variations de distance radiale, mais avec des repères de temps terrestres. La rotation de la Terre fait qu'on peut théoriquement se contenter d'une seule station pour 3 passages différents du satellite à condition de disposer d'une horloge suffisamment stable.
 
-       Géodésie : le processus du type navigation utilisé pendant plusieurs années, sur des milliers de passages de satellite TRANSIT traités dans tout un réseau de stations au sol, a permis au SMITHSONIAN INSTITUTE d'établir une description fine du géoïde par rapport à son ellipsoïde de référence (plus de 600 coefficients, non publiés à l'époque vu leur intérêt militaire).
 
Les satellites TRANSITavaient des orbites polaires et circulaires à des altitudes de 900 à 1 000km, et des périodes de révolution de 107 minutes environ. De 2 initialement, leur nombre fut porté à 4, avec des plans d'orbite régulièrement espacés, de sorte qu'un navire ne restait jamais plus de quelques heures sans voir un passage utilisable pour faire le point. Un passage bas sur l'horizon de 5 à 6 minutes suffisait mais les passages proches du zénith exploitables pendant 14 minutes donnaient une meilleure précision, de l'ordre de 100 mètres.
Les satellites émettaient non pas une mais deux fréquences cohérentes (150 et 400 MHz) afin de corriger au premier ordre l'effet de la réfraction ionosphérique. En effet, la densité électronique de l'ionosphère rend la vitesse de phase de l'onde hertzienne inférieure à la vitesse dans le vide. Le terme principal de l'erreur qui en résulte sur la fréquence reçue est en 1/f. Les fréquences émises (choisies selon les possibilités des technologies de 1960 et malheureusement assez basses, dans des gammes très brouillées) étaient dans un rapport 3/8, ce qui conduisait à travailler sur une fréquence corrigée fictive de :
400 – (3/8 x 150) = 343,75 MHz
Les fréquences émises étaient engendrées à partir d'une horloge ultra stable (au rubidium ?) et légèrement décalées par rapport aux chiffres ronds (de 32 kHz pour le 400 MHz, de 12 kHz pour le 150 MHz). Au sol, le récepteur générait les fréquences rondes de 400 et 150 MHz à partir d'un standard de fréquences 5 MHz pour extraire les battements 32 et 12 kHz affectés par l'effet Doppler de respectivement ±8 et ±3 kHz au maximum. Les comptages de cycles fournissant les ΔDétaient réalisables avec les logiques lentes de l'époque d'avant les circuits intégrés.
Les puissances émises étant très faibles ( 2 w ), les puissances reçues au sol à des distances de 1 000 à 3 000km et sur des antennes omnidirectionnelles (fouets λ/4) sans gain, pouvaient descendre jusqu'à -176 dBm. Extraire un tel signal du bruit thermique était néanmoins possible grâce à l'étroitesse du spectre (modulation à 50 bit/s seulement), à la connaissance a priori de la forme d'onde des bits 0 et 1, du mot de synchronisation, etc…, et à l'emploi des filtrages passifs très poussés tant en VHF qu'en moyenne fréquence 10 MHz, suivis de filtrages actifs des battements Doppler par boucles à verrouillage de phase.
 
3 - La Contribution de la SAT
 
La SAT qui souhaitait trouver des activités nouvelles dans une optique de diversification s'intéressa très tôt au système TRANSIT mis en place par les américains pour leur flotte de sous-marins nucléaires (voir la contribution N°16 de François Le MENESTREL). François JEANSON, responsable commercial des activités de télécommunications militaires de la SAT, a démarré l'affaire TRANSIT. A la Marine Nationale, le responsable était l’ingénieur du Génie Maritime FORTERRE.
 

 

 

Elle a concerné l'étude et la réalisation des stations de réception par la Direction technique et leur exploitation sur le terrain par la Direction des Essais et Travaux Extérieurs (DTEE). Nous fournissions aux divers utilisateurs responsables des calculs de navigation et d'orbitographie, les mesures Doppler ΔDn  datées, auxquelles on ajouta, dès qu'on fut capable de les extraire du message transit, les paramètres orbitaux. Le tout était édité sur papier, pour traitement différé
Accessoirement, nous avons fourni:
  • à la DGSE sous forme de bandes de 0 et 1, des messages satellites et notre aide pour y trouver, d'ailleurs avec succès les paramètres orbitaux, car les Américains ne publieront la composition du message qu'assez tard, lors de l'ouverture de TRANSIT aux civils.
  • A la DGA, en collaboration avec la SEREB, filiale de l'Aérospatiale, une étude du système TRANSIT, en particulier de l'influence des différents facteurs de perturbation : instabilité des oscillateurs, partie non corrigée de la réfraction ionosphérique, pression de radiation, prévision du freinage atmosphérique à haute altitude…
  • A la CSEE, à partir de 1974, la transmission de l'expérience acquise et la fourniture de nos récepteurs NAVISAT à intégrer dans leur système SYLOSAT.
  • A ceux qui l’auraient voulu la valeur de la correction de réfraction ionosphérique disponible à chaque passage sous forme analogique. Mais, contactés, les spécialistes qui étudiaient l'ionosphère depuis des décennies, se déclaraient intéressés seulement par une fourniture gratuite d'équipement et partirent bredouilles.
 
On peut distinguer 3 étapes dans la contribution SAT:
 
1ère étape: de fin 1963 à mi 1968, faisabilité et réalisation d'une station expérimentale de réception, validation des concepts, exploitation en plusieurs endroits désignés par le client.
Pour gagner du temps, on construisit une station en employant, partout où cela était possible, des appareils de mesure du commerce: standard de fréquence, amplificateurs, filtres de poursuite…, complétés par des éléments issus d'autres équipements SAT (par exemple filtres VHF-UHF à cinq cavités) et par des équipements spécifiques réalisés au laboratoire (générateur des hétérodynes, correction ionosphérique, extraction des repères de temps, comptage des battements doppler, édition sur imprimante…). En 1963, une bascule c'était un module PHILIPS de 5 x 3 x 1cm.
L'essentiel de la station occupait 5 baies, était juste transportable dans une camionnette CITROËN. Les fréquences TRANSIT très basses, nécessaires au bilan de liaison, rendaient la réception en ville très difficile, surtout le jour, vu le nombre et la puissance des brouilleurs. La station fut bientôt hébergée par la station PTT de NOISEAU à l'ombre des grands losanges de réception décamétrique. L'exploitation systématique des passages de 2 satellites put alors commencer ainsi que la formation de l'équipe DTEE.
Pour évaluer le parti que la Marine pouvait tirer du système TRANSIT compte tenu des informations limitées que nous avions sur ce système et sur les progrès de la géodésie qu'il avait permis aux USA, la DGA nous fit déplacer la station SAT en divers endroits: après NOISEAU, METZ, BREST, les observatoires de SAINT MICHEL DE PROVENCE, puis NICE, Madagascar, HAMMAGUIR, avant retour à la rue Cantagrel.
La station SAT eut, à NICE, son heure de gloire lors du lancement du premier satellite français DIADEME, en février 1966 par une fusée DIAMANT. Ne pesant que 20 kg, DIADEME ne pouvait emporter beaucoup d'électronique. Le CNES lui avait assigné une mission de géodésie pour laquelle il suffisait d'emporter des trièdres réflecteurs de radar et d'engendrer des fréquences stables voisines de celles des TRANSIT. La détermination de l'orbite fut faite selon 2 techniques et par 2 équipes différentes:
-       par radar laser, équipement CGE, calculs par le CNES,
-       par Doppler, équipement SAT, calcul par la SEREB.
Ce fut "notre équipe" qui publia la première les paramètres orbitaux de DIADEME avec plus d'une journée d'avance. Un journaliste de Nice Matin vint alors nous interviewer à l'observatoire de NICE : dans son article; il s'extasiait surtout sur la petite imprimante qui "telle un dragon crachant une langue de feu" crachait sa langue de papier !
Pendant cette première étape, le laboratoire travailla au remplacement des appareils du commerce par des équipements adaptés aux fonctions demandées beaucoup moins volumineux. La station fut d'abord comprimée de 5 à 3 baies et l'on prépara les étapes suivantes.
 
2ème étape(fin 1967 à mi1969) la "Ministation", destinée à la Marine Nationale, devait respecter ses normes d'environnement sévères (température, vibrations, chocs…). Elle se présentait sous forme d'un cube d'environ 50cm de côté monté sur amortisseurs. On nous demanda de lui adjoindre, pour l'emploi à bord des sous marins, un équipement de traitement du battement Doppler. En effet, le temps d'immersion périscopique doit être réduit au minimum nécessaire à l'obtention de mesures valables. De plus, l'antenne émerge le moins possible au dessus de la surface de la mer et peut, de temps en temps, être mouillée par les vagues. C'est pourquoi les mesures Doppler normales de 120 s de durée furent fractionnées en plusieurs mesures plus courtes dans cet équipement annexe.
 
3ème étape (mi 1968 à février 1974): le récepteur NAVISAT.
La disponibilité de circuits logiques de plus haut niveau d'intégration permit de nouvelles réductions de volume. La SAT put alors proposer une station TRANSIT composée de :
  • 1 coffret de présélection (filtres et préamplificateurs) proche des antennes fouet,
  • 1 récepteur bi fréquence (rack 19 pouces, 6 unités),
  • 1 standard de fréquence 5 MHz ultrastable, acheté à une firme américaine, (rack 19 pouces, 3 unités) donnant une stabilité à court terme meilleure que 10-10,
  • en option, une petite imprimante IER à défaut de liaison directe avec un ordinateur.
 
Les dossiers de fabrication en série furent réalisés et quelques exemplaires vendus à la Marine nationale, au CNEXO, au service Hydrographique, à un organisme de la marine Marchande italienne, tous organismes faisant eux-mêmes le calcul du point en différé ou en temps réel sur leurs ordinateurs.
 
Le NAVISAT ne pouvait avoir de débouché commercial sérieux qu'intégré dans un ensemble NAVISAT + ordinateur affichant automatiquement heure, latitude, longitude. C'est pourquoi la contribution de la SAT s'acheva en février 1974, par la transmission des dossiers et de l'expérience à la CSEE qui faisait alors partie du groupe G3S (SAGEM-SAT-SIGAUX). La CSEE prit le relais, réalisa le SYLOSAT, système complet de navigation, avec l'ordinateur 10010 de la CII et y inclut diverses commodités : entretien de l'estime à l'aide de lock ou de gyrocompas, tenue d'éphémérides des satellites, système de test, sortie sur téléimprimeur…
La contribution CSEE au système Transit se termina à son tour dans les années 90; la déclassification à la fin des années 70 des techniques de communication dites à spectre étalée, jusque là secret militaire et le lancement consécutif par l'US Air Force du système GPS, condamnèrent à mort le système TRANSIT. Avec le GPS, ses 24 satellites répartis sur 6 plans orbitaux d'inclinaison 55°, le mobile connaît sa position à tout instant sans avoir à attendre la passage d'un des 4 satellites TRANSIT. La précision est meilleure, la technique du spectre étalé permet une numérisation quasi complète du récepteur, d'où son extrême miniaturisation.
 
En conclusion, l'aventure TRANSIT fut une diversification, certes petite à l'échelle de la SAT, mais pleine d'intérêt technique : nous avons beaucoup appris dans les domaines de l'extraction de signaux faibles du bruit, des filtrages actifs, du contrôle de phase dans les récepteurs, et, en prime, nous eûmes le sentiment d'avoir participé à l'époque héroïque de l'ère spatiale.
 

 

 

 

Personnes SAT ayant participé à cette « aventure » :

 

A la Direction Technique:Marc LIGER, Pierre BÉRENGUIER, Julien MONTAY, Charles AB DER HALDEN, Michel BERNIÈRE (pour des études papier), Michel BOISSE, Christian BRELOT, Jean DEPARDAY
A la DTEE: Moïse LAMY, Thomas PAIN.
 
 
 
 

La station expérimentale TRANSIT

 

(à comparer avec un récepteur GPS de 2010)

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