Afficher la contribution de :






Contribution de N°04 - Claude JOLY

 
Mon parcours à la SAT sur les chantiers de raccordement 
Bien sûr, il est difficile de se souvenir de tous les épisodes d'une vie passée sur les chantiers où aucun jour n'était exempt de péripéties, parfois graves, souvent drôles.
J'ai connu les chantiers dès l'âge de 5-6 ans. Mon père travaillait sur les chantiers de la SAT et je suivais mes parents dans leurs déplacements. J'ai ainsi connu une vingtaine d'écoles primaires.
Pendant la guerre, j'ai subi l'exode et vécu les bombardements; puis une fois mon père démobilisé, la poursuite des chantiers - alors des chantiers de réparations - et connu plusieurs lycées et collèges à Châteauroux, 0rléans, Foix, Riom, Brive.
Mes études terminées, j'ai été embauché à la SAT, avec Monsieur NICOULEAU sur les chantiers Périgueux Brive et Périgueux-Abzac. La récession survenant dans les années 50, j'ai évité le licenciement en étant affecté au piquetage avec Messieurs BONNICHON et DÉOTTI.
Revenu sur les chantiers de raccordement - câble Nancy-Epinal - j'ai travaillé avec mon père – on me l'a assez reproché – sur de nombreux chantiers, notamment en Poitou-Charente, dans le Sud-ouest, en Alsace, en Bourgogne où j'ai connu ma femme.
Une seconde récession eut lieu et j'ai été affecté à la SAGEM à Montluçon. Revenu un temps sur les chantiers Monsieur CAZAUX m'a rapidement affecté au transimètre, alors le premier et seul appareil de ce type, alimenté par un groupe électrogène, en remplacement de Monsieur GAUBICHER. J'étais également chargé de la réception des câbles SNCF, des câbles radar de l'armée et de Pleumeur-Bodou, ainsi que de la localisation des défauts.
Ma femme et ma fille, qui débutait ses études, ne pouvant me suivre, la société nous a fourni un logement à l'annexe de Vitry. C'est alors qu’a débuté une longue série de déplacements très courts, de longs voyages avec le camion laboratoire. J'ai effectué pratiquement deux fois le tour de la France un certain mois de juillet; cela a duré une quinzaine d'années.
Avec l'avènement d'un nouveau câble coaxial plus performant, j'ai été chargé d'une longue série d'essais entre Saint-Quentin et Maubeuge, puis de Reims à Dijon, de Clamecy à Luzy, et enfin entre Auch et Carcassonne. Afin de raccourcir les distance, la mode était de passer tout droit à travers champs, en particulier les champs de betteraves de Lille jusqu'au delà de Reims ; bonjour les dégâts au moment de la récolte ! Les véhicules tout terrain n'étant pas encore très divulgués, la location de vieilles 2CV nous a bien tirés d'affaire. Bien sûr, au-delà de Reims, il n'était pas question d'arracher les vignes !
Vint le numérique qui supprimait le difficile équilibrage HF, puis la fibre optique pour laquelle j'ai effectué un stage à Wissous avant être affecté à Biarritz. Me rendant compte que cela faisait fi de toutes mes connaissances antérieures, qu'il fallait repartir à zéro, j'ai pris la décision de profiter des possibilités de préretraite alors proposées.
Chantier La Rochelle-Niort vers 1955. L'équipe de raccordement devant le camion laboratoire. De gauche à droite : Roger GEORGE (monteur), Fernand LE GOURIELEC (monteur), Jean-Yves HASCOET (technicien), Amédée LARBAU (monteur), René MAGONTIER (monteur), Claude JOLY (technicien), Hyppolite BARANX (monteur), Marcel VALADON (monteur), André LABARRE (monteur), René LE GALL (chef d'équipe), René JOLY (chef de chantier)
 
Les conditions de travail sur les chantiers
1 - Le matériel et les véhicules
Le matériel était très divers et souvent encombrant. Il comprenait : La caisse renfermant les pièces de raccordement, les sacs à outils des monteurs, les pompes, les bouteilles de gaz alimentant les chalumeaux, les bâches, les ferrures, la bouteille d’azote (pour la mise en pression des câbles) la marmite à brai (goudron de houille) surnommée Isabelle (Isabelle AUBRET), les panneaux de signalisation et plus tard les postes à braser. Heureusement les camions ateliers étaient bien conçus et pratiques.
Restaient les problèmes d’accès : le plus souvent les câbles longeaient les routes, mais quelquefois, ils empruntaient des raccourcis pas toujours faciles à négocier; d’où la célèbre parole du chef d’équipe Bertrand : "Quand l’avant passe l’arrière suit". Sauf une fois ou le camion atelier se retrouva en piteux état.
Plus tard comme je l’ai signalé la mode changea, le plus court chemin étant la ligne droite ; les 2CV qui passaient quasiment partout se révélèrent très utiles ; même si elles s’enlisaient, elles étaient faciles à dégager. Il y avait aussi les tunnels, en particulier sur les chantiers SNCF. Le tunnel du Rove surtout, entre Marseille et Miramas, a posé de sérieux problèmes de cheminement et de pollution. Le tunnel  du Mont Blanc, où nous avons travaillé avant son ouverture à  la circulation (câble Cluses-Chamonix-Courmayeur) a généré également quelques difficultés ; la ventilation était souvent insuffisante et il a fallu bien des fois téléphoner pour la faire activer.
L’équipement des véhicules avait pour conséquence de les alourdir parfois à la limite des normes au point que les freins se révélaient souvent défectueux. Le camion Renault équipé du premier transimètre était dans  ce cas : il fallait effectuer un double pédalage pour seulement ralentir le véhicule ; dans ces conditions, dépasser les 30.000 km par an relevait du défi. Ce n’était pas mieux avec le "tube" rallongé où était installé le transimètre de nouvelle génération;  la descente du  Puy de  Dôme en fut l’éclatante démonstration : j’avais beau rétrograder et appuyer sans arrêt sur la pédale de frein, je n’arrivais pas à ralentir le véhicule; j’ai cru au  miracle lorsque j’ai pu enfin enclencher la première ; mais aussitôt un craquement sinistre m’avertit que la boite de vitesse n’avait pas résisté ; par chance la fin de la descente était proche et j’atteignis le plat debout sur les pédales !


 
Claude Joly et Jean-Yves HASCOET en cours de mesures dans le tube

 
2 - Les mesures et l’équilibrage
Au début des chantiers les mesures se faisaient à basse fréquence  entre deux points de pupinisation distants de  1830m. Il s’agissait  de réduire au maximum les déséquilibres de capacité de chaque quarte afin de réduire la diaphonie. A cet effet pour chaque épissure, des plans de raccordement étaient  fournis aux  monteurs. Cet équilibrage demandait plus d’astuce que de technique, ce qui était assez décrié par nos supérieurs. Un jour j’entendis cette réflexion : vous n’allez tout de même pas faire toute votre vie votre petit "pecu". (Nota : Le pont de mesure de delta C, pont PQ, était appelé "pecu" dans le langage des chantiers).
Il est vrai que, plus tard, j’ai eu l’occasion d’effectuer des tâches un peu plus techniques et beaucoup plus intéressantes avec l’avènement des quartes HF l’équilibrage devint plus compliqué. Il s’effectuait entre deux stations intermédiaires distantes de plusieurs kilomètres.  Les mesures étaient effectuées à  l’aide d’un diaphonomètre. Il fallait réduire la diaphonie dans la quarte et entre quartes et tenir compte à la fois de la diaphonie à l’émission et de la diaphonie à la réception (para et télé diaphonie). Plus l’on montait en fréquence plus les plans étaient difficiles.
Sur le chantier Marseille -Toulon, les câbles contenaient à la fois des paires coaxiales et des quartes HF à haute fréquence induisant une paradiaphonie supplémentaire. En outre le cahier des charges était draconien; élaborer les plans de raccordement relevait du casse-tête chinois, quelquefois tard dans la soirée les plans n’étaient pas terminés. Une fois de  plus l’astuce suppléa la technique lorsqu’on se rendit compte qu’il ne fallait pas brasser les quartes mais  opérer une rotation systématique; le cahier des charges fut largement tenu.
 
3 - Les intempéries
Sur  les chantiers l’eau était le grand ennemi. Il y eut plusieurs cas de câbles noyés suite à des soudures défectueuses et les défauts d’isolement étaient très difficiles à localiser.
Dans  les contrées humides et les terrains argileux, les niches étaient souvent remplies d’eau ; il fallait pomper quelquefois pendant toute la durée du raccordement. Dans  les zones inondables, il fallait faire appel à des sociétés spécialisées dans le rabattement des nappes.
Bien entendu la neige était un autre souci, non pas tant parce qu’elle pouvait recouvrir les niches et les extrémités des câbles mais à cause des difficultés de circulation. Les équipements spéciaux n’existaient pas ou n’étaient pas encore utilisés. Il fallait quelquefois, dans les chantiers en montagne, attendre le passage du chasse neige. De ce point de vue, les chantiers les plus difficiles furent ceux du Massif Central (Ussel-Clermont, Clermont- Ambert et Clermont-Le Puy). Le passage de La Chabanne et du col de la Moreno relevait parfois de l’aventure.
Il y eut aussi quelques épisodes difficiles en Alsace, en Lorraine et entre Cluses et  Chamonix. Mais le pire ce fut dans la Drôme à proximité de la vallée du Rhône ; il était tombé 1 m de neige au début du mois de janvier et le mistral avait formé par endroits des congères géantes. Il fallut plusieurs jours pour dégager les routes et le chantier entre Valence et Die  fut arrêté d’autant. Il y eut aussi un cas d’évacuation sur le chantier Marseille-Toulon. Des pluies diluviennes s’étaient abattues dans toute la région, provoquant la rupture du barrage de Malpasset. Un matin, vers Les Lecques, un véritable déluge s’abattit dans la zone du chantier. Malgré  le pompage l’eau montait inexorablement dans les niches. Il fallut obturer les câbles en catastrophe et évacuer le chantier sur les routes inondées.
 
 4 -  Les conditions d’hébergement
Les déplacements étaient fréquents; se reloger n’était jamais évident. Les caravanes n’étant encore pas d’actualité. Dans la plupart des cas la famille suivait et il n’était pas facile detrouver des meublés sauf dans les lieux de villégiature et les stations thermales (en dehors de la saison). La plupart du temps, il fallait se débrouiller, faire du porte à porte et il n’était pas rarede passer plusieurs jours à l’hôtel. La première caravane apparut sur le chantier Epinal-Nancy, mais elles se vulgarisèrent surtout à partir des années 70.
Pour les enfants se posait le problème de l’école; ce fut mon cas.
La petite histoire : dans les bases militaires-en particulier au CEL à Biscarosse, le personnel chantier avait accès au mess où le prix du pastis était sans concurrence. Dans certaines régions, surtout la Dordogne, et en général dans le Sud-Ouest, on trouvait des restaurants dont le rapport qualité-quantité-prix était imbattable. Heureusement le plus gros du travail était effectué dans la matinée ! 

5 - Les accidents

Il y en eut hélas plusieurs. J'en citerai quatre dont trois mortels.
Dans le midi après une longue période de sècheresse le revêtement des routes devenait souvent une véritable savonnette à la première pluie. C’est ainsi que vers Lodève un camion atelier (chef d’équipeRogerBRACQ ?) bascula dans le fossé. il y eut plusieurs blessés légers.
Aux Riceys, sur le chantier Troyes-Dijon, un autre camion atelier heurta en reculant dans une rue étroite une dame âgée et légèrement handicapée qui décéda  sur le coup.
A la sortie de Cornebarrieu, près de Toulouse, les monteurs vidaient une niche et l’eau était rejetée sur la route. Une voiture conduite par une enseignante qui roulait très vite fit une embardée et fut projetée dans le fossé 100m plus loin; la conductrice fut tuée. La gendarmerie accusa le chantier en prétendant que l’eau répandue gelait à mesure sur la route. Responsable du chantier, j’avais contesté ces déclarations.
Sur un chantier près de Moulins le chef d’équipe Roger FLATRÈS roulait sur une route étroite. Il ne vit pas une corde tendue en travers de la route, sans aucun signalement, à hauteur du pare- brise ; il fut tué sur le coup.
Quelques anecdotes de chantiers
A chantier X, opérateur S
Le technicien S s'apprêtait à débuter les mesures, mais le "bouquet" de quartes était humide. L'humidité était le grand ennemi du pont de delta C, appelé aussi "pecu" dans le langage chantier. J, tout frais arrivé de sa Bretagne natale était le "pécuriste" chargé de brancher les quartes. S s'adresse à J : "Chauffez un tantinet". Quelques minutes se passent, le chalumeau ne fonctionnait toujours pas. "Que faites vous J ?" Monsieur S, je cherche le tantinet !
B - Charmes- chantier Epinal- Nancy
Les joyeuses tribulations du monteur A
1 - C'était le raccordement du premier câble coaxial. Le monteur A, fraîchement débarqué des Landes avec son accent rocailleux tournait en rond dans la niche. Le chef de chantier qui passait par là lui demanda : que faites vous A ? Je che"rr"che les complications qui pou"rr"aient me c"rr"éer des emme""rr"dements.
2 - C'était le 14 juillet. A avait jugé bon de faire une petite escapade au bal, lorsqu'il voulut repartir, craignant les représailles de la "patronne", il ne retrouva pas son vélo. Ses camarades le surprirent en train de chercher partout. Que fais tu A ? Je relève les t"rr"aces, la ""rr"oue de devant suit la "rr"oue a"rrr"iè"rr"e !  Il se présenta chez lui à pied et la mine déconfite. La patronne l'attendait de pied ferme, ce n'était plus la fête.
3 - A  prenait un verre chez Titine, lieu de rendez-vous du chantier. De nouveau l'ambiance était à la fête et ses copains en goguette déjà bien éméchés avaient atterri au bistrot d'en face, lieu de rendez vous de l'équipe de football. Le monteur S, en état second, fracassait les chaises une par une avec son crâne. L'affaire se termina en bataille générale. Les gendarmes, pressentis, appréhendèrent le petit groupe et le fit sortir en direction du poste. Voyant cela A se précipita vers la maréchaussée en disant:
§ Vous n'allez quand même pas les emba"rr"quer ces pauv"rr"es petits ?
§ Quoi, vous la ramenez vous ? Au poste comme tout le monde !
Tard dans la soirée, le chef de chanter dut intervenir pour faire libérer ses ouailles.
Une nouvelle fois, A se présenta chez lui  avec l'accueil que l'on devine.
C- chantier Périgueux- Brive
Monsieur CAZAUX visitait le chantier dans le courant de l'après midi aux environs de Thenon. Comme souvent les libations avaient été plutôt abondantes chez la Mère LACHAISE. Le technicien G se présenta avec sa belle chemise blanche maculée de taches de vin.
Jamais pris au dépourvu Monsieur CAZAUX  lui lança : "Alors, vous avez fait chabrot Monsieur G ?"
Nota : Faire chabrot est une expression du Sud-Ouest qui signifie : mettre du vin rouge dans la soupe.
D- Parthenay. Chantier Niort -Thouars
C'était le week-end. Le chef de chantier J jouait aux cartes avec sa famille. Soudain le téléphone sonne. Le monteur L est au bout du fil, affolé :
"Monsieur J je suis à la gendarmerie, pourriez vous me prêter des vêtements ?"
"Comment, vous n'avez pas de chemise?"
"Non !"
"Vous n'avez pas de pantalon ?"
"Non !"
"Vous n'avez pas de sous vêtements ?"
"Non !"
"Mais enfin que vous arrive t-il  L ?"
"Le mari a surgi sans crier gare. Je n'ai eu que le temps de sauter par la fenêtre et, poursuivi dans la rue, j'ai dû me réfugier à la gendarmerie !" 

 


Retour