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Contribution de 07 - Michel BIGNIER

 
N.D.L.R. : Cette contribution concerne les activités de Michel BIGNIER alors Ingénieur au Centre d'essais en Vol. M. BIGNIER occupa par la suite d'importantes fonctions au CNES (président) puis à l'ESA.
 
Les Vampires Télécommandés

Je suis entré au Centre d’Essais en Vol de Brétigny sur Orge, comme Ingénieur d’Essais, le 1er octobre 1953, et j’y suis resté jusqu’au 1er MAI 1961. Je fus tout de suite affecté en stage, au Service Méthodes, dont le Directeur était Jean IDRAC : j’étais sous les ordres de Monsieur DESPORTES et mes instructeurs sur les Télémesures et Télécommandes étaient Bernard GOLONKA et Daniel LECLERCQ.
Les Télémesures (renseignements de l’Air vers le Sol) et les Télécommandes (ordres du Sol vers l’Air) étaient conçues et fabriquées par les Etablissements Jean TURCK et par la SFENA (Société Française d’Etudes pour la Navigation Aérienne).
Elles équipaient tous les Engins Spéciaux (Sol-Sol, Sol-Air, Air-Sol et Air-Air), construits par les 3 maîtres d’œuvre de l’époque : NORD-AVIATION, SUD-AVIATION et MATRA.
Après mon stage au Service Méthodes, je fus affecté à la Section des Engins Spéciaux, sous les ordres de l’Ingénieur Militaire Principal Jean DELACROIX. Ma responsabilité concernait les Engins Sol-Sol et Sol-Air ainsi que les Cibles (CT 10 et CT 20) construites par NORD-AVIATION. J’effectuais en moyenne 1 campagne de tirs tous les 2 mois (15 jours en moyenne à chaque fois). Le CIEES (Centre Interarmes d’Essais d’Engins Spéciaux) avait 2 bases de lancement : COLOMB BECHAR (Air-Air, Air-Sol et Sol-Sol) et HAMMAGUIR (Sol-Air). Les essais se poursuivaient alternant succès et insuccès, mais la dérivée était positive.
En 1955 les maîtres d’œuvres des Engins Air-Air (NORD-AVIATION et MATRA) se plaignirent à DELACROIX que les Engins Cibles mis à leur disposition CT10 (à pulsoréacteurs) et CT 20 (à statoréacteurs) n’étaient pas représentatifs des avions et que c’était la cause des échecs de leurs autodirecteurs (Infrarouges ou Electromagnétiques).
DELACROIX eut l’idée de transformer les avions retraités en cibles. L’Ingénieur Général BONTE accepta cette proposition. Le Service Technique Aéronautique refusa cette responsabilité et il fut décidé que le CEV serait maître d’œuvre !
Le choix des avions se porta sur les Vampires 1 qui venaient d’être interdits de vol (pour vétusté) et mis au cimetière sur la base de l’Armée de l’Air à ORANGE. DELACROIX me chargea de mener l’opération et je choisis comme Chef de Projet LECLERCQ qui s’y consacra à plein temps.
Les deux constructeurs principaux furent les Etablissements Jean TURCK et la SFENA (choix évident) qu’il était impossible de départager à priori. Je n’avais jamais rédigé un contrat auparavant et je rédigeai en 6 nuits à HAMMAGUIR les clauses techniques et administratives des 2 appels d’offre. Ce fut mon premier et mon dernier contrat, bien que j’eu droit aux félicitations des services administratifs de la DTIAé !
Dans l’intervalle on avait sélectionné les 4 moins mauvais avions au cimetière et confié à SUD-AVIATION un retapage et un équipement de pilote automatique (M. HAMEL). Après révision, les Vampires furent peints en blanc et baptisés des noms des 3 mousquetaires (qui, comme chacun sait, étaient 4) d’Artagnan et Aramis furent équipés par SFENA et Athos et Porthos par TURCK. Et les essais de mise au point eurent lieu au CEV de BRETIGNY. SFENA et TURCK avaient chacun équipé un camion avec le matériel au sol. Daniel LECLERCQ était le seul télépilote. Durant les vols avec pilote à bord, les 2 pilotes qui alternaient étaient CORMERAIS et CASANAVE, 2 très bons pilotes d’essais. Ils avaient comme instruction de toucher le moins possible aux commandes de vol.
Les avions furent prêts en juillet 1957. Il fut décidé, COLOMB BECHAR étant fermé, de faire les premiers lâchés à CAZAUX au mois de septembre. Le Colonel commandant la base était le Colonel AUBRY ancien de Sup-Aéro. Il accepta mais protégea ses radars avec des obstacles antichars ! Trois vols étaient prévus :
§ 1er vol - Parfait mais après l’atterrissage, le train s’effaça et l’avion termina sa course sur le ventre. Explication : le train était commandé par une vanne à double effet, alors que nous l’avions cru à simple effet. Il n’y avait que de la tôle froissée et l’avion fut rapidement remis en état de vol.
§ 2ème vol - J’eus la surprise, en arrivant pour le lâché de trouver à côté des radars, le Commissaire de Police d’ARCACHON, qui ayant entendu dire que nous faisions des essais dangereux, était venu se rendre compte. Il resta à côté de moi et je lui expliquai qu’aux USA de très nombreux avions volaient sans pilote (ce qui était faux) et que les vols se passaient sans accident. Le vol fut à nouveau parfait, mais à l’atterrissage, il y avait un fort vent à 45° de la piste. L’avion se présenta mal et LECLERCQ décida de remettre les gaz. L’avion passa à faible hauteur au dessus des spectateurs, refit un tour de piste et se représenta correctement. Après l’atterrissage, je dis au Commissaire de Police, que nous étions sûrs de nous et que la remise des gaz était classique. Nous avions eu très chaud, mais le matériel était intact.
§ 3ème vol - Vol parfaitement correct, mais au retour sur la base, l’avion s’inclina sur le côté gauche et resta bloqué, les ailes étant à 30°. Il fut impossible de le rétablir en ligne de vol et nous donnâmes l’ordre au pilote de l’avion d’accompagnement, qui était armé, de détruire le Vampire récalcitrant. L’Adjudant Chef CASANAVE, qui avait été dans la chasse, se mit en position de tir, mais chaque fois qu’il était prêt à faire feu, BISCAROSSE était dans l’axe de tir. Il renonça. LECLERCQ agita frénétiquement le « télémanche » et l’avion se remit brusquement en ligne de vol et finalement fit un atterrissage superbe.
Après ces 3 vols, le matériel fut qualifié. On dut choisir entre TURCK et SFENA. Les performances étaient équivalentes et le choix fut difficile. DELACROIX et moi, nous choisîmes les équipements TURCK, peut-être moins jolis mais très robustes et donc plus sûrs. Leurs réglages étaient aussi plus faciles.
Nous commandâmes de nouveaux équipements TURCK ; ils furent alors montés sur les 4 avions. En novembre, les avions furent amenés à COLOMB BECHAR et basés à HAMMAGUIR.
Les essais étaient suivis par monsieur « X » Directeur des Essais en Vol de TURCK et le point d’alignement pour les phases de décollage et d’atterrissage (les plus délicats) était confié à monsieur « Y » Agent Technique de TURCK. Plusieurs essais en vol eurent lieu en présence de monsieur Jean TURCK fondateur de son entreprise, ingénieur compétent et inventeur des TM et TC de sa société.
 
Deux visites mémorables me sont restées en tête :
§ La première était celle de monsieur LEBEDINSKY, de la SAT avec son état major. Il était en pourparlers avec monsieur TURCK pour la reprise de sa société. Je pense que nous lui avons fait bonne impression, à cause de la grande qualité des équipements TURCK, car l’affaire a été conclue rapidement après.
§ La deuxième était celle d’une mission militaire israélienne, qui assista aux essais et me posa beaucoup de questions sur un vol potentiel de TEL-AVIV à DAMAS. Finalement ils conclurent qu’il fallait le plein des avions et qu’il n’y avait plus de place pour une bombe. Elle resta donc sans suite.
 
Mentionnons encore, la participation d’un Vampire télécommandé à REGGANE pour la première bombe atomique française. Daniel LECLERCQ se déplaça à REGGANE en janvier 1961 avec un Vampire télécommandé équipé de capteurs nucléaires. Tout de suite après l’explosion, le Vampire traversa le cœur du nuage créé par la Bombe et il se posa au sol mission accomplie.
L’Armée de l’Air affecta 20 nouveaux avions retraités et ils furent tous équipés de TM et de TC TURCK. Ils furent employés comme cibles à COLOMB BECHAR de 1962 à 1967. Un avion effectua un record : il fit 8 vols avec succès, sans être touché par des engins tirés contre lui.
Rendons hommage au Sergent GOURLAOUEN qui convoyait un avion en Algérie et qui à la suite d’une panne moteur, qui n’avait rien à voir avec les Equipements TURCK, sombra en mer Méditerranée
 
Ainsi se termina l’épopée des Vampires Télécommandés.
Michel BIGNIER

            Mai 2006.. 


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