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Contribution de 15 - Jean-Louis GARNIER

 Satelcom International

1 – L’origine
Dans les années 60, la SAT est un acteur important dans l’équipement des réseaux de télécommunications en matériels d’infrastructure pour le compte des administrations de télécommunication civile et militaire. L’approche commerciale de ce secteur de clientèle est naturellement adaptée au caractère particulier de la demande de ces administrations.
Dès le début des années 70, la SAT a souhaité diversifier et élargir sa clientèle au secteur privé. Un créneau de son activité, en forte expansion, se prête particulièrement bien à cette diversification : les transmissions de données.
Aborder le secteur privé dans de bonnes conditions implique la mise en place de méthodes de commercialisation entièrement nouvelles pour la société.
Un « Groupe Opérationnel Téléinformatique » (GOT) est donc créé à cet effet. Il est rattaché à la Direction Commerciale de la SAT.
Le GOT qui, au tout début, ne compte qu’une dizaine de personnes prend en charge la vente des modems et des multiplexeurs de la SAT.
Le marché, à cette époque, est porté par les grandes entreprises motrices du domaine de l’informatique centralisée: Constructeurs informatiques, (IBM, UNIVAC, HONEYWELL-BULL), compagnies aériennes : (AIR FRANCE, SABENA, IBERIA), centres de calcul du ministère de l’équipement (CETE, SETRA), centre de télétraitement de l’information du Ministère de l’Intérieur,….etc. D’autres grands acteurs, pour des raisons de continuité, demeurent dans le domaine de compétence du Service Commercial traditionnel de la SAT. C’est le cas, en particulier, de la SNCF. C’est également le cas, naturellement, à l’exportation.
Le GOT qui s’installe dans un premier temps boulevard Masséna tout près de la porte d’Italie comptera une trentaine de personnes fin 1979, lorsqu’il déménage pour s’installer rue du Chevaleret.
Peu avant cette date, la SAT qui souhaitait également se développer dans le domaine de la commutation privée, avait créé, sur le même modèle, un Service consacré à cette activité : le GOCP (Groupe Opérationnel Commutation Privée).
La reprise par la SAT des activités de la société OTIS Télécom fut le point de départ d’une réorganisation complète des secteurs Téléinformatique et Commutation privée : les équipes du GOT et celles du GOCP furent regroupées, rue du Chevaleret dans une même entité, Satelcom International, filiale détenue à 100% par la SAT.
 
2 – Les produits phares
 
En téléinformatique, le succès de la gamme des modems conçus par le laboratoire de la SAT a été d’autant plus rapide que leur méthode de commercialisation, ajoutée à leurs qualités techniques irréprochables, était mieux adaptée à un marché évolutif, de plus en plus ouvert à la concurrence, dès lors que les normes internationales se sont imposées au détriment des particularismes (et protectionnismes) nationaux. Les procédures d’homologation des matériels dans les différents pays européens ont en effet été progressivement uniformisées dès le début des années 80.
Cette adoption par tous les pays de normes identiques fut pour Satelcom une grande chance car cela lui permit rapidement de prospecter en dehors des frontières, essentiellement à l’intérieur de la communauté européenne. Cela lui permit également de nouer des accords déterminants de licence ou de distribution avec d’autres acteurs du domaine, en particulier Case Ltd au Royaume Uni, dont le multiplexeur Case 670, devenu Telsat 670, équipa un grand nombre de réseaux et tout particulièrement le réseau RCP, précurseur de Transpac.
Les multiplexeurs statistiques de Micom, société américaine installée en Californie, constituèrent également une importante aide à la vente de nos modems qu’ils complétaient dans la constitution des réseaux téléinformatiques. Satelcom devint rapidement le premier distributeur mondial des matériels Micom et le demeura jusqu’en 1990.
Les volumes de vente croissaient rapidement et dès que les quantités de modems vendus dépassèrent 20.000 unités par an, leur fabrication fut transférée à l’usine SAT de Bayonne. Ce fut une opportunité majeure pour la téléinformatique de la SAT car l’ensemble formé par les trois pôles : études, fabrication et commercialisation était particulièrement soudé et motivé. Satelcom devint alors le premier distributeur Français de matériels de téléinformatique.
 
En commutation, le Telcom 100, dont la SAT acquit la License de fabrication à l’époque de la réunion des anciennes équipes d’OTIS Télécom et de celles du GOT, connut un succès honorable. Il faut reconnaître que ce produit se situait dans un créneau extrêmement concurrentiel, largement pourvu par les acteurs traditionnels du marché.
En 1986, Satelcom, dont les bureaux avaient été déplacés au 46 avenue d’Ivry, et dont les effectifs atteignaient déjà la centaine de personnes fut conduite à prendre un certain risque afin de se préparer à l’explosion du marché de la téléinformatique décentralisée dopé par le surprenant début de carrière d’un curieux produit : le Minitel.
En effet, Transpac souhaitait disposer d’un multiplexeur utilisant le principe de la transmission de données par paquets. Un produit conforme à cette norme existait aux Etats-Unis. Il avait été développé par Telefile, société basée à Irvine en Californie : Le « Telepac »
L’acquisition de la licence de fabrication et de commercialisation de ce matériel fut le point de départ de la seconde vie de la société. Sous le nom de « Mégapac », ce matériel fut vendu à plus de 40 000 exemplaires dont près de 15 000 pour Transpac.
L’équipe de développement du Mégapac était basée dans l’ouest londonien, à Ascot. Un accord fut conclu avec cette équipe et une filiale de Satelcom fut constituée en 1987 : Satelcom UK Ltd. qui devint rapidement un centre de profit important pour Satelcom.
Dans le même temps, sur une idée des techniciens du Crédit Agricole, la SAT développa le produit phare de la commutation privée, le Telcom 25, petit autocommutateur destiné initialement à équiper les agences des différentes Caisses Régionales de la banque (10 000 en tout). Ce matériel connut un très grand succès auprès des agences de grandes entreprises, des PME et également des bureaux régionaux et locaux d’administrations telles les Caisses Primaires d’Assurance Maladie, les commissariats de Police et autres locaux du Ministère de l’Intérieur et naturellement d’autres grandes banques (BNP et Société Générale).
 
3 - L’expansion en province et à l’étranger
 
La nature même des matériels commercialisés par Satelcom impliquait une présence locale de plus en plus forte, tant du point de vue purement commercial que du point de vue technique et après-vente.
Il fut donc décidé de créer et de développer sept agences régionales de Satelcom, plus spécialement consacrées à la vente du Telcom 25, mais qui prirent progressivement le relais des agences G3S Infodif, la filiale commune aux Sociétés du Groupe G3S.
De plus, la commercialisation des matériels de commutation ne pouvait raisonnablement pas se développer, au plan local, en ignorant l’existence – et la puissance - des réseaux d’Installateurs Privés en commutation. Satelcom conclut donc des accords de distribution avec une quinzaine d’entreprises de ce secteur. En province, l’essentiel des ventes de Telcom 25 aux entreprises privées fut l’œuvre des Installateurs du réseau Satelcom.
En 1987 un bureau fut créé en Allemagne et un autre en Italie. En Belgique et aux Pays Bas, les produits Satelcom étaient distribués par les filiales locales du Groupe G3S à Bruxelles et à Liège. En 1989 un bureau fut ouvert en Chine continentale, à Pékin, alors que, dans le même temps, la filiale britannique Satelcom UK Ltd abordait le marché chinois à partir de Hong Kong.
 
4- Les activités complémentaires
 
La constitution de réseaux privés de transmission de données dans les entreprises de taille moyenne a progressivement multiplié les besoins de matériels de connectique et de câblage associés : petits commutateurs de données actifs ou passifs, câbles ethernet, équipements de jonction, matériels de mesure, etc.
 

Micom qui avait acquis en 1985 la société Blackbox Corp, basée à Pittsburgh a proposé à Satelcom qui recherchait un moyen de parfaire son offre dans ce domaine, la constitution d’une filiale commune. Ce fut Satelcom Express.

Le marché très porteur des produits Blackbox permit à Satelcom Express de devenir rapidement le premier distributeur mondial (hors USA) de ces produits.
Basée à Ivry sur Seine, l’équipe de Satelcom Express compta jusqu’à 40 personnes et dégagea, dès sa première année d’exploitation une marge bénéficiaire largement suffisante pour lui permettre d’envisager une croissance externe qui lui aurait permis d’absorber la plupart des acteurs du marché français et de constituer, à elle seule, un pôle d’activité majeur dans son secteur au plan européen. Les évènements décrits ci-après ont hélas dessiné un scénario bien différent qui a abouti à la cession de Satelcom Express à Black Box Corp !
 
5 - La « Normalisation »
 
Nous sommes en 1988.
- La situation de la société progresse de semaine en semaine. Elle a la chance de bénéficier de la confiance et du plein appui de la Direction Générale de la SAT : Jacques BOULUIN, Georges PLANTIER, François Le MENESTREL. Caution inestimable.
- L’effectif est alors de 450 personnes dont 150 commerciaux de premier rang, une équipe technique et d’après vente très spécialisée dans les domaines des réseaux et de la petite commutation privée. Les locaux sont répartis au siège de l’avenue d’Ivry et dans les 7 agences de province.
- La croissance de l’activité et des effectifs impose toutefois la recherche de locaux plus vastes et mieux adaptés : ils seront trouvés dans le nouvel ensemble Tolbiac Masséna, quai de la Gare que Satelcom occupera en octobre 1989.
- La filiale britannique Satelcom UK dégage un résultat très confortable et contribue de façon majeure au développement technique du Mégapac qui est désormais, comme on l’a vu, le produit phare de la société : plus de 40 000 équipements vendus donc : Transpac, Défense Nationale, grandes administrations et entreprises du secteur public et nationalisé constituant l’essentiel de la clientèle pour ce produit. (L’exceptionnelle longévité du Mégapac permettra par la suite  à Satelcom UK de le fabriquer et de le distribuer jusqu’en 2004!) Le Telcom 25 quant à lui se vendra à plus de 30 000 exemplaires : Réussite exceptionnelle.
- Ces deux produits réalisent à eux seuls près de 70% du chiffre d’affaires.
Les modems Telsat continuent de se vendre mais on assiste déjà à l’avènement des produits dits, à l’époque, « de microinformatique », dont nos laboratoires maîtrisaient moins bien les coûts de développement et de production.
- Satelcom Express est donc en passe de devenir le premier distributeur français de matériels de connectique et de réseaux locaux microinformatiques.
- Plusieurs tentatives sont faites dans le sens du développement de l’activité à l’étranger, tout particulièrement, après la Chine, en Espagne et au Portugal.
- Afin de préparer la relève des modems classiques Telsat, deux projets d’accord aux USA sont en discussion très avancée, dont un avec US Robotics qui débutait alors et demandait aide et expertise (!)
 

Malheureusement, tous ces projets ont été brutalement stoppés, sans raison apparente à l’époque, sur ordre des nouveaux dirigeants de la SAT

 

 

 

Le Palm Pilot, potentiel cadeau de mariage dont les premiers prototypes nous avaient été montrés à Chicago, ne sera donc pas, contrairement au Mégapac, un produit Satelcom…

 
 

Ce coup de frein incompréhensible n’était, hélas, qu’un début…

 
Avec ses 750 millions de francs de Chiffre d’Affaires Hors Taxe et sa marge nette de 40 millions de Francs fin 88, son image très positive aussi bien chez les grands comptes, les administrations que chez les distributeurs et installateurs, sa politique marketing et commerciale très active, au diapason des nouvelles technologies naissantes, sa notoriété au-delà des frontières, Satelcom ne plaisait manifestement pas aux nouveaux maîtres de la SAT et du Groupe.
Pourquoi ?
 

Le savaient-ils eux-mêmes qui n’ont pas daigné se pencher un seul instant sur le sens et la stratégie de la société, son potentiel et ses perspectives d’avenir ?

 

Mais peu importent ces considérations lorsque l’idéologie prend le pas sur la raison :

Satelcom rentrera dans le rang.
Comment ? Rien de plus simple ! Un petit tour de passe-passe fera l’affaire ! Depuis la fin de carrière du modeste Telcom 100, les activités du laboratoire de Dourdan n’avaient rien en commun avec celles de Satelcom. En effet, le Telcom 320 et le Telcom Europe dont les développements avaient été décidés pour des raisons stratégiques étrangères à la mission de Satelcom ont toujours été commercialisés directement par les équipes de vente de la SAT, en France et à l’exportation.
Avec l’arrivée du Telcom 25, il est vrai, le laboratoire de Dourdan avait été conduit à consacrer à ce matériel une (modeste) partie de son effectif de développement. Il fut pourtant décidé d’affecter à Satelcom l’intégralité du coût de ce laboratoire !!! Or, ce coût était d’environ 60 millions de francs par an : conséquence limpide, Satelcom dégage une marge nette de 40 - 60 = -20 millions de francs. Voila donc une filiale non rentable qu’une saine gestion impose de liquider…
Cette affligeante supercherie cousue de fil blanc n’était pas seulement un non sens stratégique, économique et entrepreneurial dans un secteur si riche de promesses à cette époque, c’était aussi l’édifiant exemple qu’ont pu brandir les nouveaux maîtres pour asseoir leur pouvoir et inaugurer l’ère glacière dont la SAT ne se remettra jamais.
La sinistre et piteuse liturgie du « terror management » tenait lieu de gouvernance d’entreprise. Un certain nombre de « procès staliniens » furent alors promptement instruits et les meilleurs d’entre nous, ceux qui avaient fait ou accompagné Satelcom : Gilbert GROSDEMANGE, Raymond CASTILLON, Jean LVOFFentre autres, furent chassés comme des valets. Quel gâchis !
Satelcom rentra dans le rang fin 1990, phagocytée par la « nouvelle SAT » dans une improbable « Division Communication d’Entreprise » pléthorique, impotente et sans âme, moribonde dès sa naissance car dépouillée de projets d’avenir et dont l’offre commerciale était lourdement lestée d’une composante inadaptée à ses modestes ambitions. La messe était dite. Le corps enfin démantelé, la tête devenait encombrante...Je fus donc logiquement  remercié quelques temps après, fin mars 1992.
Aujourd’hui que reste t-il de l’esprit de Satelcom ? Une petite équipe d’une vingtaine d’anciens qui se retrouvent environ quatre fois par an pour évoquer « le bon vieux temps » et les occasions perdues… C’est peu, mais c’est bien.
Comment terminer ce bref résumé de l’histoire de Satelcom, sans mentionner l’ultime exploit des oligarques de la « nouvelle SAT » concernant Satelcom UK ?
Nos grands technocrates visionnaires, qui considéraient la filiale britannique comme un appendice ingérable et sans valeur, s’en sont débarrassés pour une bouchée de pain en 1997 : (4 MF). Dès qu’elle recouvra sa liberté, elle put enfin se remettre au travail ; je fus invité à rejoindre son « board » en avril 1998. Fin 2002 nous l’avons revendue à DATATEC pour 65 Millions de livres Sterling : Cent soixante fois plus .. !
Hé oui, l’histoire de Satelcom a connu une suite. En forme d’apothéose !
Merci donc, Messieurs les casseurs,  our ma confortable retraite…
Mais la plaie n’est toujours pas refermée.
 
Jean-Louis Garnier
Risoul, le 23 juin 2006
 

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